Par l'élève Moinet
Roger Mayne était Anglais. Roger Mayne est décédé le 7 juin dans l’indifférence. Sauf des Anglais. Il était Anglais et différent. Roger Mayne était photographe. Roger Mayne était leur Cartier Bresson, leur Doisneau à eux. Les Anglais. Les Londoniens. Les Londoniens de Southam Street et leurs enfants à eux. Ceux qui ne sauront jamais qui étaient Cartier Bresson et Doisneau. Ceux qui sauront qui sont Billy Fury et Nobby Stiles. Les enfants, c’est à croire qu’il n’y avait qu’eux à Southam Street. Après-guerre oblige et l’envers du décor aussi : les maisons décrépites, alignées en noir & blanc avec leurs tags à la craie. Plus noires que blanches. Aux toilettes partagées et aux chambres bondées. Southam Street, c’était leur rue à eux, c’était sa rue à lui. De 1956 à 1961 il les verra tourner encore et encore, bien et mal et la photographiera encore et encore, jamais mal. Southam Street était londonienne et différente.
Les gens disent qu'il y a une forme d'innocence dans ces enfants des rues. C'est vrai qu'il y a une forme d’innocence dans ces enfants des rues. Que c'était de la photographie sociale, c'est vrai que c'était de la photographie sociale.
Plus tard, Morrissey se servira des photos de Roger Mayne pour ses pochettes à lui. Le soir où l’on fait tourner Roy’s Keen sur sa platine en regardant la pochette, eh bien on n’a pas perdu sa journée. Le jour où l’on fait tourner Interlude, on se dit que tout peut recommencer.
Pour la peine, je voulais faire un joli speech. Prosaïque pour l’argentique, avant de faire place au poétique. J’ai trouvé comment : j’arrête tout de suite. Ça évitera de parler "d’expressions fugaces et éphémères" et "d’âmes rebelles à jamais capturées". Un cliché de moins, c’est une photo de plus.
Je ne sais pas pourquoi, mais il me revient une chanson - la pochette sans doute - où Kevin Rowland et ses Dexys Midnight Runners cherchaient en vain les "Young soul rebels". Aux dernières nouvelles, je crois qu’il les cherche encore. Gageons qu’il a couru trop vite, ou qu’il ne connaissait pas Southam Street.
Inutile lors d’un prochain voyage à Londres d’essayer de retrouver Southam Street du côté de Kensington. La Mayne’s Street a été rasée à la fin des 60s. 600 maisons détruites et plus de 1000 personnes recasées bien loin les unes des autres - Londres est une grande ville. Il n’en reste plus qu’un petit bout à l’ombre de la Trellick Tower. La tour Trellick - en français – qui a fait si souvent la une des tabloïds. D’habitude, les traductions Google sont toujours un (petit) plaisir, un peu comme lorsque Petula Clark parlait en français. Cette fois-ci, un peu moins. "Femmes violées dans les ascenseurs, les enfants attaqués par des héroïnomanes dans le sous-sol, et les squatters sans-abri qui mettent le feu aux appartements ont été parmi les plus terrifiantes histoires". Les caméras de surveillance ont remplacé l’appareil-photo de Roger Mayne. Oui, je sais, c’est facile, mais c’est comme ça.
Pourtant, les années passant, cette tour est devenue un symbole de la modernité et le prix des apparts atteint des records (420 000 £ le F3) aussi vertigineux que le vue du 32ème étage. Comme quoi, ce n’est pas ici qu’on vous dira le contraire, le temps qui passe améliore bien des choses.
Ah, j’oubliais. Dans les 60s, Ian Fleming détestait un de ses voisins à Hampstaed. Un Hongrois répondant au nom improbable d’Ernö Goldfinger. C’est de lui dont il s’inspira pour le mégalo psychopathe de Goldfinger. Ernö Goldfinger fut l’architecte de la Trellick Tower.
Comme quoi, la vie n’est pas un roman de James Bond, ni une photo de Roger Mayne. Mais ça vous le saviez déjà.
Pour ceux qui veulent en savoir plus : www.morrissey-solo.com/people/mayne.htm