Par Hong Kong Fou-Fou
Quand on est enfant puis adolescent, on puise à diverses sources pour créer sa personnalité. Ce qu'on lit, ce qu'on regarde, ce qu'on entend au cours du dîner familial, les camarades qu'on fréquente, tout ça se mélange inconsciemment pour forger un caractère. Pour moi, les deux influences majeures, ça a été les scouts d'Europe, d'une part, et la musique, de l'autre. Comme, heureusement, les bons groupes de ma jeunesse étaient de gauche (au hasard, les Jam, les Clash, les Specials, plus tard les Redskins ou les Housemartins), je n'ai pas fait que baigner dans le milieu militaro-catho-tradi des scouts, j'allais ainsi aux réunions de patrouille avec un badge "Anarchy in the U.K." et un autre "Sandinista !" sur ma veste de treillis. Quand on est jeune, on n'est pas à une contradiction ou une provocation près. Outre les scouts, mes copains étaient mods, skins ou psychos. Faire le grand écart entre les enfants de chœur et les jeunes voyous, ça n’assouplit pas que les jambes, ça ouvre aussi l’esprit. Bref. Influence de groupes anglais, donc. Mais pas que. La Souris Déglinguée, aussi. J'ai découvert Tai-Luc et sa bande à 12 ans, et je ne m'en remettrai jamais. Comme je suis feignant, que je ne vois pas comment je pourrais dire les choses différemment et que de toute façon personne n'a lu cette critique dans Action/Réaction du bouquin sur LSD sorti en 2011, j'en reprends quelques extraits :
"La Souris Déglinguée. Un des groupes qui aura le plus compté pour moi, et que je respecterai toujours, même si je ne l'écoute plus trop désormais.
La lecture de ce bouquin consacré à LSD me replonge aujourd'hui dans des souvenirs de plus d'un quart de siècle en arrière.
Comme ce concert en 1987, au Heartbreak Hotel de Sète, avec en première partie un groupe de punks anarchistes, Septembre Noir. Musicalement nul, idéologiquement pas mieux, leur prestation avait été rapidement interrompue par quelques jeunes gens en blouson vert matelassé, devant un Tai-Luc hilare. Une fois La Souris montée sur scène, le Heartbreak Hotel s'est transformé en arène, ça pogotait dans tous les coins, même devant le bar, impossible de finir un verre sans en renverser, même dans les toilettes, impossible de se soulager sans s’en mettre partout. Et la même année, à Tournefeuille, un mini-festival avec les Decibelios et deux autres groupes dont je ne me souviens plus. Les habituelles embrouilles avec des fafs. Tai-Luc qui monte sur scène et qui prévient le public que le groupe va jouer les lumières allumées, parce que la veille pendant le concert un de leurs fans s'est fait poignarder dans l'obscurité et qu'il ne veut pas que cela se reproduise.
Et ce passage un dimanche après-midi chez Jacques Martin, en 1984. Je faisais tranquillement mes devoirs dans ma chambre, la voisine un peu dure de la feuille regardait la télé à haut volume et, soudain, les premières notes du "Parti de la jeunesse". En playback, mais quand même ! LSD sur la scène du Théatre de l’Empire, devant un public bien sage attendant patiemment l’Ecole des Fans. Surréaliste.
J'ai toujours été méfiant à l'égard des hommes politiques mais Tai-Luc, c'est le seul pour qui j'aurais pu voter. Peut-être parce qu'il ne demandait pas qu'on vote pour lui, justement, qu'il faisait de la politique sans vraiment s'en rendre compte. Ses textes parlaient autant à mes tripes qu'à mon cerveau. Et puis c'était de l'exotisme bon marché. Certaines chansons me transportaient à Bangkok, Vladivostok ou Islamabad sans quitter l'appartement familial. Sans aller aussi loin, d'autres téléportaient le jeune provincial que j'étais devant la fontaine des Innocents ou sur le boulevard Sébastopol. Surtout, elles constituaient des hymnes vibrants et sincères à l'amitié, la fidélité et la liberté.
LSD existe depuis 1976. Souvent critiquée, à cause de son public turbulent qui n'avait rien à envier à la Sham Army, elle continue toujours sa route. Dans l'indifférence générale. La pensée unique a encore de beaux jours devant elle."
La dernière fois que j'ai vu LSD en concert, je ne me rappelle plus exactement, c'était dans les années 90 à la salle Victoire de Montpellier. Depuis, j'ai continué à acheter religieusement chaque nouveau disque, mais sans avoir l'occasion de les apprécier sur scène. Alors samedi soir, avant de franchir en compagnie de Oddjob la porte du BBC, j'avoue que j'appréhendais un peu le concert. Est-ce que le groupe n'était pas devenu sa propre caricature, comme tant d'autres qui n'ont pas su s'arrêter à temps ?
La réponse est non, définitivement non. Comme dirait Tai-Luc, rien n'a (encore) changé. Après une première partie dont je n'ai rien à dire, si ce n'est que le nom du groupe, Kortex, rapporte 24 points au Scrabble, lui et ses copains débarquent sur le ring et, dès les premières notes, je suis transporté 20 ans en arrière, une époque où, si je n'avais pas trop de cheveux sur la tête, c'était par choix, pas par fatalité. La formation a un peu évolué, avec juste deux survivants de la toute première heure, Tai-Luc, donc, à la guitare et au chant propagandiste, et Rikko le bassiste, toujours imperturbable et flegmatique. Cambouis le batteur est là depuis de nombreuses années et a mérité depuis longtemps ses galons de membre à part entière. Muzo le saxophoniste est parti, je ne sais pas pourquoi, il est remplacé par un second guitariste. Pendant 1h30, les morceaux s'enchaînent, essentiellement des titres du premier album, de "Une cause à rallier", avec cette "Varsovienne" qui me donne toujours des frissons, le dernier disque est évidemment représenté avec entre autres "Françoys Villon" et "Sur les toits du Palace".
Dans la salle, le public est pour le moins hétéroclite, ça ratisse large, depuis le teufeur dreadlocks/sac-à-dos fraîchement atterri de Notre Dame des Landes à la petite minette bien pomponnée, en talons, qui envoie des SMS pendant "Détachement FR" pour préparer son after, en passant par les inévitables punks ou skins qui ont dépassé la date de péremption. La bière coule à flots, la sueur aussi. Tout le monde reprend les paroles en coeur, ces paroles que j'aimais tellement décortiquer quand j'étais gamin, et que je n'arrivais pas toujours à comprendre.
LSD réussit cet exploit, faire prendre la mayonnaise sans casser d’œufs. Il faut vraiment être fort, pour arriver à faire chanter à des gros fafs indécrottables les paroles de "Yasmina Petite Arabe", ou à des gauchistes maoistes celles de "Brigitte Bardot cambodgienne". La force du groupe, c'est son honnêteté, sa crédibilité, qui fait qu’il peut s’adresser à tous, sans hypocrisie. Et quand vraiment c'est sur le point de déraper, le grand échalas du S.O. plonge dans la foule pour expliquer manu militari aux plus excités que "de la bagarre, on n'en veut pas !"
En mai prochain, La Souris joue à l'Olympia. Evidemment, je n'y serai pas. Mais j’espère ne pas attendre encore 20 ans avant de reprendre ma dose du groupe hexagonal le plus mouse costaud.
Alors, longue vie aux sauvages !