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Créé en mars 2007

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Fury Magazine, toujours à la pointe de l'actualité d'il y a cinquante ans en arrière.

Nos garanties :

- Tous nos articles sont écrits sur des ordinateurs à fiches perforées gros comme une camionnette.

- Nos rédacteurs ne communiquent entre eux que par téléphone filaire.

- L'un d'eux est né avant 1960.


"Nous sommes l'avant-garde du passé."

Modern life is rubbish...

periscope.jpg
... quoique...
Par Oddjob
  

"Dans des aventures sensationnelles, inédites… Spirou présente… Un type extraordinaire les amis ! Jean VALHARDI ! Un gaillard plein d’allant et de courage que vous aimerez. Comme vous aimez les héros de Spirou…"

Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire ! Précipitez-vous chez votre libraire favori et plongez-vous dans les aventures de VALHARDI, le célèbre détective dont la poignée de main, franche et ferme, était le signe de reconnaissance des membres du Club des Amis de Spirou. Eh oui, les belles éditions DUPUIS, nous proposent, enfin, une magnifique intégrale digne de ce nom, avec un premier tome regroupant les années 1941 à 1946, avec Doisy au scénario et surtout Jijé au dessin. Alors mieux qu’une distribution de cartes de rationnement gratuites… lisez les enquêtes de VALHARDI !

Vous En Voulez Encore ?

Trop chauve pour être une rock star, trop asthmatique pour être footballeur, pas assez alcoolique pour être écrivain, trop Français pour être Anglais, pas assez suicidaire pour être artiste, trop intelligent pour la télé-réalité. Il ne me restait pas grand' chose, et ce pas grand' chose, c'est devenu Fury Magazine. Hong Kong Fou-Fou


Rédaction :
wally gator logo Wally Gator : rugby de village, communion solennelle et charcuterie.
Eleve-Moinet-2.jpg  Elève Moinet : permis B, Première étoile, BEPC (mention Assez bien)
oddjob logo 2 Oddjob : KPM, RKO et Kop Boulogne.
barbidule-logo.jpg Barbidule : contradictions, bals de village et coloriage.
Getcarter logo Getcarter : mod, mod, mod.
hkff logo Hong Kong Fou-Fou : soins capillaires, huile de moteur et kilomètre arrêté.

N'hésitez pas à nous écrire : fury.mag@gmail.com (Pas de compliments, nous sommes modestes. Pas de critiques, nous sommes susceptibles. Pas d'insultes, nous sommes hyper baraqués. Pas de propositions à caractère sexuel, nous sommes fidèles.)
Vous pouvez également devenir fan de Fury Magazine sur Facebook (ici : Fury Magazine sur Facebook).
19 octobre 2007 5 19 /10 /octobre /2007 12:48
Par Hong Kong Fou-Fou

    routard2.jpgExtraits du rapport de Prime Ozzzzzzzzzzztrr' Pffundtli'ii, dit Pop, rédacteur au Guide du Routard Intergalactique - surnommé le Vide du Routard par ses détracteurs-, à son patron. Les mots suivis d'une astérisque sont expliqués en fin de texte.

"Chef, vous m'avez demandé d'aller faire un tour sur la Terre, afin d'actualiser l'édition de notre guide consacré à cette planète. Je me suis acquitté de ma mission avec ferveur, vous connaissez l'affection que je porte aux Terriens, un peu comme un enfant avec son premier zlouk*. Ma dernière visite à cette planète remonte à un bon millième de pp'eye* et je dois dire que beaucoup de choses ne sont plus comme avant ! Je me demande avec le plus grand sérieux si la Terre mérite encore son titre de joyau de la Voie Lactée... J'ai peur que nos astrotouristes en reviennent désappointés...
J'ai été partout, hémisphère Nord, hémisphère Sud, j'ai arpenté les sept continents, j'ai escaladé les montagnes, j'ai plongé dans les fosses abyssales, j'ai été dans les villes, j'ai été dans les campagnes, j'ai tout lu, tout vu, tout entendu. Je ne vais pas me lancer dans une énumération exhaustive de tout ce qui a changé, vous le découvrirez lorsque je vous soumettrai la nouvelle version du guide. Je vais simplement vous donner quelques exemples et vous narrer quelques anecdotes pour que vous vous fassiez une idée.
Quiconque va sur la Terre se doit de passer par Paris. Faire l'impasse sur cette ville, ce serait un peu comme manger un gloumgloum* sans lécher le gloumzak* !!! J'y suis donc retourné. Je ne m'étendrai pas sur les difficultés que j'ai rencontrées pour trouver une place où garer mon astronef. Il y avait une circulation infernale, un peu comme aux abords d'un stade de hoolball* un jour de match entre l'Olympique de Mars et le Paris Saturnin... En plus, lors de ma visite, certains Parisiens se livraient à l'une de leurs activités favorites : la grève (elle consiste à défiler dans la rue avec des banderoles, en criant des slogans contenant des jeux de mots que même le pitoyable humoriste vénusien Labaff n'oserait pas faire). La fluidité du trafic ne s'en est pas trouvée améliorée... Après avoir plané un centième de millionnième de pp'eye* pour trouver un stationnement libre, j'ai fait comme tout le monde : j'ai abandonné ma soucoupe en troisième file, avec un mot "En panne" sur le pare-astéroïde. A peine arrivé en bas de l'échelle de sortie, j'ai posé le pied sur une crotte de chien (un chien, c'est comme un zlouk*, mais avec une capacité de défécation décuplée), souillant irrémédiablement mes mocassins gravitationnels Goud'Shhi. (...) Alors que je déambulais dans les rues, un jeune bipède en survêtement blanc (un survêtement, patron, c'est une tenue sans forme que les Terriens enfilent le week-end pour aller affronter leurs congénères dans les grande-surfaces) m'a abordé avec une certaine agressivité. Il portait tout un tas de pendentifs et autres colifichets brillants autour du cou, ainsi que des bagouzes énormes aux doigts, la vie de ma mère j'en avais jamais vues des ça-com, j'les kiffais chanmé (oups, pardon chef, vous connaissez mes facultés d'adaptation, voilà que je m'exprime comme lui). En tout cas, j'ai bien fait de ne pas m'encombrer de verroterie et bijoux de pacotille comme lors de ma première expédition, apparemment ils ont tout ce qu'il faut. Bref, j'ai eu un mal fou à lui expliquer que ce qu'il prenait pour une casquette Louivuiton (???) n'était que ma membrane frontale vascularisée et qu'il m'était impossible de la lui céder sans subir d'atroces souffrances. Devant son manque d'ouverture d'esprit, j'ai dû faire usage de mon phaseur à concussion latérale inversée. Il n'est resté de lui que sa propre casquette, que je me suis permis de vous ramener en guise de souvenir. Si vous me passez l'expression, chef, j'l'ai niqué grave, c'bouffon ! (...)
A mon dernier voyage, j'avais été impressionné par les talents culinaires des cuisiniers parisiens. A la simple pensée du fondant tournedos rossini accompagné d'un délicieux Saint Emilion que j'avais dégusté dans un restaurant de Montmartre, mes pédoncules se sont remplis de stomaks* bien dégoulinants. Las ! Finies les agapes et les libations de qualité ! Désormais, le citadin préfère manger "sur le pouce" (que je vous rassure, chef, n'y voyez rien de graveleux : chez l'Homme, le pouce est situé à un emplacement beaucoup moins indécent que chez nous. Sinon, haha, il lui faudrait une sacrée souplesse !...). Il s'entasse dans des fast-foods (pseudo-restaurants d'origine américaine, où l'on sert une cuisine cancérigène accompagnée de figurines en plastique de héros de dessins animés. Je pense sincèrement que même un Wookie* ne voudrait pas y déjeuner !!!). J'ai goûté l'un de leurs burgers, ce qui m'a permis d'étrenner mon analyseur moléculaire. Le verdict est implacable : dans mon burger se trouvaient 27% de sciure de bois, un morceau d'ongle, 18% de pâte à papier, une pincée de sel, 12% de boeuf mort trois mois plus tôt et 3% de colorants et agents de goût interdits chez nous depuis des lustres (le total ne fait pas 100%, me direz-vous, mon cher patron pointilleux et attentif. Tout simplement parce que j'ai préféré éteindre l'appareil avant la fin de l'analyse, les capteurs manifestant des signes de surchauffe). Quant à la boisson, ils ont abandonné le vin pour se gaver de Coca-Cola (hmm, il faudra vérifier avant publication, je crois que la marque est déposée même au-delà de la septième ceinture d'Albaramann). Cette boisson gazeuse a des propriétés incroyables : j'en ai laissé tomber une goutte sur ma combinaison anti-radiations ionisantes H-22, ce qui a fait un joli trou bien net.
(...)
Dernière chose pour aujourd'hui, patron. Vous savez que nous sommes une race mélomane. Nous n'avons pas 37 trompes auditives réparties sur tout le corps pour rien (au fait, tant que j'y pense, au niveau frais de mission, tout est OK, à part sur un point : il faudrait revoir à la hausse les dépenses en coton-tiges...). Quand je suis venu la dernière fois, en... attendez que je calcule... 1967 pour les Terriens, j'avais assisté à l'Olympia à un concert incroyable d'un Noir hallucinant (Un Noir, c'est un humain qui n'est pas vraiment humain aux dires de certains humains). Il s'appelait James Brown, et son concert, ça mitraillait sec, ça éclaboussait sévère. Le parrain de la soul, l'inventeur du funk. Un déhanché que même un Filofil* lui envierait ! D'ailleurs, chef, j'avais pu filmer ça à l'époque, j'avais réussi à cacher ma caméra dans ma poche abdominale, le service d'ordre n'y avait vu que du bleu. Je vous ai mis un extrait en fin de rapport. 

Quelle n'a pas été ma déception lorsque j'ai découvert ce que les Terriens écoutaient aujourd'hui ! Finie la musique avec une âme, elle a été remplacée par de la musique électronique. Oui, oui, vous avez bien lu ! Un peu comme si on demandait à nos robots-ménagers Soub'RAITE-4 de pousser la chansonnette. Le pire, c'est un courant musical tout nouveau baptisé tecktonik. Une musique répétitive et assomante, sur laquelle de jeunes Terriens s'agitent de façon désordonnée et aléatoire, comme s'ils avaient gobé un sachet de piment du Kros*. Un truc qu'ils affectionnent aussi, ce sont les compilations. Je vous en ai ramenées quelques-unes, pour que vous vous fassiez une idée : la "Compil Super Tuning Vol. 7", la "Kompil Tekno Trans 12", le "Best Of Ibiza Power", etc... Les Terriens qui écoutent ces disques choisissent en général de le faire à bord de drôles de navettes violette ou jaune pétard, fenêtre ouverte, volume poussé à fond. J'ai cru y reconnaître une sorte de parade nuptiale visant à attirer des Terriennes souvent très fardées appartenant à la tribu des Sandy. Si j'avais le temps, je vous parlerais plus en détails de ces navettes. Et vas-y que ça brille, et vas-y qu'il y a de la moumoute sur le volant, et vas-y que ça pétarade. Mais niveau accélération, on dirait un vieux croiseur de classe A partant pour la casse...
Bon allez patron, je vous laisse, il faut que je m'attelle à la suite de mon rapport !"

A suivre...


*Filofil : espèce extraterrestre invertébrée, croisement entre un Barbapapa et un bol de tapioca.
*gloumgloum : intraduisible.
*gloumzat : intraduisible, mais vachement bon !!!
*hoolball : sport piqué aux Terriens lors d'un précédent voyage. Onze supporters de chaque équipe, assis en short sur des gradins vides, regardent deux fois dix mille joueurs habillés en Stone Island s'injurier et s'étriper sur le terrain.
*Kros : région de la quatrième lune d'Ixxmonia, dont les habitants se sont décarcassés pendant longtemps pour arriver à produire des épices de qualité.
*pp'eye : unité de temps, qui vaut environ 40000 années terrestres. D'où l'expression : "ça fait une pp'eye !".
*stomaks : sucs digestifs qui s'écoulent dans les membres inférieurs de certaines espèces extraterrestres, en cas de grosse fringale. D'où l'expression "avoir les stomaks dans les talons", eh oui, c'est encore un militaire qui gagne une tringle à rideau !
*Wookie : si, si, c'est bien ça : les mêmes que Chewbacca ! Apparemment, Georges Lucas a beaucoup voyagé.
*zlouk : petit quadrupède de compagnie, têtu, vorace, qui adore se frotter la radicelle à tout se qui se présente.


 
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28 avril 2007 6 28 /04 /avril /2007 13:58
Par Hong Kong Fou-Fou

- Miss Peggy, appelez-moi l’ingénieur Femps et dites-lui de rappliquer ici dare-dare ! Je dois partir avec lui sur le site de la nouvelle centrale, il devrait déjà être là depuis dix minutes !


- Justement, Monsieur Banknote, il a téléphoné à l’instant, sa femme a accouché dans la nuit, il vous prie de l’excuser mais…

- Quoi ? Quel sinistre trou du cul ! Merde, merde et merde ! Vous allez me trouver un prétexte pour le virer ! Il faut que j’aille là-bas malgré tout, on doit signer le contrat demain au plus tard… Vous appellerez ma femme pour l’avertir que je rentrerai tard...

- Heu, bien, Monsieur Banknote...



Ronald Banknote est un puissant homme d’affaires. Chaque année, son empire tentaculaire s’étend à de nouvelles activités. Informatique, automobile, textile ou encore sidérurgie, il n’est de domaine de l’industrie où il ne possède des intérêts. Il s’est même par le passé essayé à la politique. C’est dans ce milieu qu’il a appris à berner les gens. Rougeaud, courtaud, le cheveux ras et rare, il a un visage grave que des petites lunettes cerclées de fer achèvent de rendre antipathique. Sournois, hypocrite et sans pitié, il a déjà ruiné des dizaines de concurrents moins arrivistes que lui, escroqué des centaines de petits actionnaires qui avaient mis en lui toutes leurs espérances, licencié des milliers d’ouvriers pour augmenter encore ses profits. Il adore terroriser ses subalternes. Obliger sa secrétaire à téléphoner à sa femme lui procure un plaisir malsain. Il faut préciser qu’il entretient avec sa charmante employée une liaison depuis plusieurs mois, lui faisant miroiter le mariage dès qu’il aura quitté sa femme, ce qu’il n’envisage absolument pas.


Aujourd’hui, Ronald Banknote s’apprête à remporter un très juteux marché concernant la construction d’une centrale hydroélectrique qui doit être bâtie sur une rivière, en pleine forêt. Banknote a des tas de défauts, tous plus regrettables les uns que les autres, mais il faut reconnaître qu’il n’hésite pas à s’investir et à payer de sa personne dans ses affaires. Il a donc décidé d’aller lui-même reconnaître le site de la future centrale. De bon matin, il se met en route, au volant de son énorme 4X4, qui n’a d’ailleurs encore jamais roulé sur le revêtement bosselé d’une route de montagne - mais quand on veut donner de soi une image dynamique d’homme qui a réussi, il faut bien suivre les modes... - Bien sûr, cette escapade dans les montagnes n’enchante guère notre industriel. Entre les déjeuners d’affaires, les réunions, les bilans, les conférences par satellite et les rendez-vous galants avec sa secrétaire, il a bien mieux à faire que d’aller patauger dans la boue au bord d’un torrent.

Ronald Banknote appuie donc sur le champignon pour couvrir le plus vite possible les deux centaines de kilomètres qui séparent la ville enfumée où se trouvent ses bureaux de la zone forestière que ses ingénieurs ont sélectionné pour la construction de la centrale. Au diable les limitations de vitesse, les règlements n’existent pas quand on possède la fortune et la renommée. Le trajet se déroule sans histoire, jusqu’à ce que le gros véhicule tout-terrain atteigne les premiers contreforts des montagnes. Là, les virages serrés et les nids-de-poule obligent Banknote à lever le pied de l’accélérateur. Au lieu d’en profiter pour goûter à la beauté majestueuse des arbres souvent centenaires qui dressent leur cime vers le ciel, l’industriel peste et rage contre les inconvénients de cette nature indomptable qu’il exècre.


Dans la matinée, Banknote, le front luisant de sueur - comme tous les hommes riches et puissants, il transpire beaucoup -, s’offre une petite halte au bord de la route. Dehors, les oiseaux gazouillent et poussent leurs trilles, s’appelant de branche en branche. Mais lui ne les entend pas, les glaces étant montées à cause de la climatisation et son autoradio déversant à haut volume les dernières tendances de la Bourse. Banknote ouvre le petit frigo intérieur, en sort une canette de bière qu’il commence à siroter avec délectation. Après quelques minutes, il baisse la glace et jette la canette vide par la portière, en direction du sous-bois. Il ouvre ensuite un paquet de ses biscuits préférés. Ils sont un peu trop sucrés aux yeux de son médecin. Il les avale néanmoins goulûment. L’emballage des gâteaux suit le même chemin que la canette. Puis il prend dans sa poche intérieure un énorme Havane, l’allume avec son briquet en or et le plante entre ses lèvres adipeuses. Avec l’air satisfait de l’homme qui contrôle tout, il commence à tirer sur le cigare. Une fois consumé, le mégot va rejoindre canette et emballage dans un bosquet. Bien sûr il y avait un panneau « Attention au feu » un peu plus bas sur la route mais Banknote ne s’en souvient plus et de toute façon il s’en moque.


Ragaillardi par cette pause, le conducteur s’apprête à redémarrer son véhicule lorsqu’on tape à la portière, deux petits coups secs. Il regarde mais ne voit rien. Persuadé d’avoir rêvé, il met en route son moteur. Deux coups secs retentissent à nouveau. Il baisse la vitre, se penche à la portière et voit un étonnant petit bonhomme, ne mesurant pas même un mètre. Il est grassouillet, vêtu d’un pourpoint vert, une capuche de même couleur sur la tête. Ses pieds sont nus, ses yeux vifs et rieurs et il arbore de grandes oreilles pointues. Les mains sur les hanches, l’étrange créature fixe Banknote d’un air goguenard.


- Excusez-moi, l’ami, je m’appelle Douggedin Lightfoot et je suis chargé de la propreté de cette forêt. Si mes yeux ne sont pas abusés par l’hydromel, il me semble que vous avez abandonné en ces lieux de bien vilains détritus.


Banknote se frotte les yeux de stupeur mais ne dit rien. Le petit bonhomme reprend :


- En conséquence, je vous serais reconnaissant de bien vouloir descendre de votre chariot afin de ramasser au plus vite ces objets qui ne peuvent qu’indisposer les habitants de cette forêt.


Banknote, encore sous l’effet de la surprise, n’en retrouve pas moins rapidement toutes ses capacités. Après tout, dans le milieu de requins de la finance où il évolue d’ordinaire, il ne faut jamais se laisser désarçonner. Il doit avoir en face de lui un de ces crétins d’écologistes, ou peut-être un garde-forestier venu d’un village voisin. Quant à son aspect bizarre, un esprit rationnel ne peut que l’attribuer à la consanguinité qui doit régner dans ces campagnes attardées. La réponse de l’industriel est cinglante :


- Tes ordures, tu te les prends et tu te les mets au cul, débile !


Et le gros 4X4 démarre dans un crissement de pneus. Après que le nuage de poussière provoqué par ce départ brutal se soit dissipé, Banknote jette un œil dans son rétroviseur. Mais il n’y a plus personne.


Pendant quelques minutes, l’homme d’affaires s’interroge sur cette rencontre. Mais très vite ses soucis reprennent le dessus et bientôt les chiffres, les budgets prévisionnels et les dividendes remplacent dans ses pensées le petit lutin aux oreilles pointues. Après quelques kilomètres, Banknote ne serait même plus capable de décrire sa rencontre.


Le voyage se poursuit sans histoire pendant près d’une heure. Au détour d’un virage, la route, désormais plus étroite et couverte par les frondaisons, est traversée par un torrent. Ronald Banknote lâche une bordée de jurons contre cette « putain de nature », coupe le contact et descend de son véhicule. Heureusement, le cours d’eau n’a que quatre ou cinq mètres de large, semble peu profond et peut donc facilement être franchi à gué. Prudemment, le gros homme, rendu plus rouge par l’effort, fait avancer son véhicule. Bien sûr, le fond du torrent est vaseux, les roues s’enfoncent et patinent. Le 4X4 ne veut plus bouger, malgré les coups d’accélérateur rageurs de son propriétaire. Celui-ci descend, trempant dans l’eau glacée son pantalon de costume Cerutti. Heureusement, Banknote est un homme du XXème siècle, jamais pris de court, habitué à affronter les tracas de la vie quotidienne. Il commence donc à dérouler le câble du treuil dont son 4X4 est équipé - enfin, cette option coûteuse va trouver son utilité ! - et attache le grappin autour d’un jeune arbre qui pousse de l’autre côté. Il va pour mettre en route le treuil lorsqu’une voix fluette retentit :


- Non Messire, s’il vous plait, ne faites pas cela !


Il faut à Banknote quelques secondes pour repérer la source de cette voix : une charmante jeune fille, les yeux implorants, vole - oui, nom de Zeus, VOLE ! - un mètre au-dessus de sa tête. Elle est entièrement nue, sa peau est pâle, presque translucide. Dans son dos, deux ailes allongées battent frénétiquement l’air.


- Vous comprenez, j’ai construit ma maison dans cet arbre. Il ne supporterait pas le poids de votre chariot et se briserait. J’ai mis des semaines à construire ma demeure.


En effet, les yeux comme des billes, Banknote distingue à travers le feuillage les cloisons de ce qui pourrait être une hutte. La créature volante pourrait bien dire la vérité et vivre dans cet arbre. Banknote présente encore des traces d’humanité - et surtout, en vieux pervers qu’il est, il ne sait résister aux charmes d’un corps aussi parfait que celui qu’il a actuellement devant les yeux -. Il déclare donc à la créature qu’il veut bien attacher son câble à un autre tronc.


- C’est hélas impossible, Messire, car chacun de ces arbres abrite la maison de l’un de mes amis. Non, la seule solution serait pour vous d’aller chercher secours au village plus bas sur la route. Là-bas vous trouverez des bras charitables pour vous aider à sortir de ce mauvais pas.


Banknote se souvient qu’il a traversé ce village au moins quinze kilomètres avant le gué. Beaucoup trop loin pour un homme pressé. De plus, la peur le gagne. La peur de ce que l’on rencontre dans cette forêt, la peur de ce que l’on ne comprend pas. D’un geste décidé, il actionne la commande du treuil. Arraché à la vase, le véhicule fait un bond en avant. Dans un craquement sinistre, le tronc de l’arbre se brise comme un fétu de paille. Sans entendre les pleurs de la jeune fille ailée, Banknote saute dans sa voiture et s’enfuit en catastrophe. Son cœur bat à tout rompre, de grosses gouttes de sueur perlent sur son front. Pourtant, une fois encore, il parvient à se raisonner. Après tout, on vit à une époque où l’on maîtrise l’atome - on en est même à songer à envoyer nos déchets radioactifs sur la Lune ! -, où l’on peut envisager de cloner n’importe quel animal - ce qui devrait désespérer les grandes dames qui aiment à se parer de manteaux de fourrure ; de quoi auront-elles l’air, lorsqu’on pourra fabriquer des dizaines de renards argentés ? Enfin, au moins ne les embêtera-t-on plus avec ces soi-disant espèces protégées ! -. Bref, un homme jouissant des avantages de cette époque formidable ne saurait être effrayé par une apparition irréelle. Non, l’explication, c’est qu’il est victime d’hallucinations. Il a déjà subi des troubles cardio-vasculaires. Son docteur l’a prévenu à maintes reprises, son régime alimentaire est trop riche. Mais les meilleurs contrats se signent toujours autour d’une table bien garnie...


Pourtant, le troisième incident ne tarde pas à se produire. Banknote roule vite, trop vite pour quelqu’un d’énervé et qui n’a pas l’expérience de la conduite sur des chemins difficiles. Devant lui, un berger est en train de faire traverser la route à son troupeau. Banknote écrase de toutes ses forces la pédale de frein. Les roues se bloquent. Les dernières brebis n’ont pas le temps de s’écarter de la trajectoire du véhicule incontrôlé. Les immenses pare-chocs heurtent deux des bêtes. Elles meurent sur le coup, l’échine rompue. Le berger s’approche du véhicule. Il s’appuie sur un immense bâton sur lequel sont gravées des runes aux formes étranges. Dans son dos, il porte un arc long et un carquois garni de flèches à l’empennage coloré. Ses yeux sont deux fentes ; ils ont l’éclat et la froideur de l’acier. Il prononce quelques mots, dans un langage fluide et chantant que Banknote ne comprend pas.


- Oui, oui, ne vous inquiétez pas, je vous dédommagerai !


L’industriel ne s’arrête pas. Il sait bien que jamais il ne reviendra pour indemniser l’énigmatique pasteur. L’heure tourne, la luminosité diminue et Ronald Banknote ne désire plus qu’une chose : jeter un coup d’œil rapide à l’emplacement du futur chantier et repartir ensuite vers le brouhaha rassurant de la ville. La dernière partie du voyage se déroule dans un paysage de plus en plus désolé. La forêt devient de plus en plus dense et sombre, de plus en plus mystérieuse également. Enfin, le 4X4 s’immobilise dans la clairière cochée sur la carte d’état-major posée sur le tableau de bord. Banknote descend, un carnet à la main pour prendre des notes. Le torrent n’est pas loin. On entend le fracas de l’eau qui se brise sur les rochers, derrière un rideau d’arbres. L’homme se dirige dans cette direction. Bientôt, il contemple un spectacle impressionnant, même pour l’habitant blasé des villes qui a tout vu à la TV : celui d’un torrent de montagne en pleine furie. L’eau bondit, gicle, éclabousse. Une faille s’ouvre entre la paroi rocheuse et la cascade. Banknote s’y glisse, mû par une quelconque curiosité.


La visibilité est réduite, mais il distingue quand même les contours d’une vaste grotte. Il avance de quelques mètres. Quelque chose scintille dans le fond de la cavité. Progressant prudemment sur le sol glissant, il continue d’avancer. Bientôt, sa raison vascille : devant lui se dresse un immense tas de pièces d’or. Au milieu des pièces, des objets divers sont dispersés, en or également, et sertis de pierres précieuses : coupes, coffrets, colliers. Mais le plus étonnant, c’est le fabuleux animal allongé sur cette montagne de richesses. On dirait un gigantesque lézard, de quinze ou vingt mètres de long. Son corps est recouvert d’écailles d’un rouge profond. Sur son dos, deux vastes ailes parcheminées sont repliées. L’animal a les yeux fermés, son corps palpitant au rythme de sa respiration. Sa longue queue est agitée de soubresauts.


A l’approche de Ronald Banknote, les yeux de l’animal s’entrouvrent et fixent l’intrus. Ils luisent comme de la braise.


- Viens, je t’attendais.


La voix de la créature est grave et posée mais aussi très lasse. Banknote ne s’étonne même pas de l’entendre parler. Il reste béat, son regard allant de l’animal au fantastique trésor amoncelé sous lui.


- Je suis Lömegald l’Ecarlate, Dernier des Anciens Dragons, et Maître de cette forêt. Depuis ton arrivée sur mon territoire, tu n’as apporté que dérangement à ses habitants. Tu as montré le manque de respect pour autrui dont sont capables les Hommes. Comme tes semblables, tu n’es qu’égoïsme et mépris des autres. Et les raisons qui t’amènent sont bien pires encore. Tes projets pour cet endroit équivalent à la destruction totale de sa faune et de sa flore, et à l’exode pour ses habitants. Mon rôle de protecteur de cette contrée me commande de te tuer sans autre forme de procès. La sentence peut te sembler bien lourde, mais elle acquiterait tous tes pêchés passés.


Le Dragon reprend son souffle. Il a l’air très faible et fatigué.


- Mais je suis âgé de plusieurs milliers d’années, et aujourd’hui il est temps pour moi de rejoindre mes Ancêtres. De toutes les espèces qui peuplent la Terre, l’Homme est de loin celle qui m’a le plus déçu. Je vis mes derniers instants, je ne veux pas partir sur cette impression défavorable. Tu vois ce trésor ? Je l’ai accumulé pendant toute mon existence. En ce jour je te propose un marché : tu vas distribuer ces richesses à ceux de tes frères qui sont dans la peine et la misère. En échange, j’épargne ta vie. Mais prends garde, si tu essaies de me tromper, tu causes ta perte. Acceptes-tu le marché ?


Banknote, livide, acquiesce d’une voix tremblante. Un sourire satisfait illumine le visage du vieux Dragon. Il repose sa tête sur ses pattes antérieures, ses yeux se ferment pour ce qui semble devoir être l’Eternité. Lorsqu’il a donné sa réponse, Banknote était sans doute sincère. Maintenant, devant la dépouille du monstre fabuleux, l’appât du gain reprend le dessus. Le gros homme se jette vers les objets les plus proches. Il en remplit le 4X4, il reviendra demain avec quelques hommes de main chercher le reste.


Du retour en voiture, il ne garde aucun souvenir. Les pensées se bousculent sous son crâne : il essaie d’évaluer l’importance du trésor qui s’offre à lui, il pense à l’usage qu’il fera d’une telle fortune, il tente de se remémorer les événements extraordinaires de cette journée. Le soir, Ronald Banknote reste tard dans le vaste bureau situé au trentième étage de la tour qu'occupe sa société. Il cherche sur Internet des renseignements sur certaines des pièces d'orfèvrerie qu'il a ramenées de la grotte. Il y a forcément une explication rationnelle. Peut-être est-il tombé sur la cachette où des truands, du passé ou du présent, ont entassé leur fabuleux butin... Il appelle ses avocats, pour se renseigner sur les lois concernant la découverte d'un trésor. Petit à petit, le côté fantastique de son aventure lui échappe. Fatigue, surmenage, stress... Il a tout imaginé. Certains voient des soucoupes volantes, lui a vu des personnages de contes, point final. Il se rendra demain chez son médecin, dès l'ouverture de son cabinet. Un bon bilan, le sermon habituel du toubib, et il repartira rassuré.

Tôt le lendemain matin, l'équipe de nettoyage retrouve les restes calcinés de Ronald Banknote, assis à son bureau. Le verre de l'immense baie plongeant sur le quartier des affaires a fondu. Après enquête, experts et pompiers doivent avouer leur incapacité à trouver la cause de l'accident, ou du meurtre... Comment un incendie a-t-il pu se déclarer à cette hauteur, en restant localisé dans une zone aussi limitée de la pièce ? Le capitaine des pompiers déclare aux journalistes : « C'est un peu comme si un hélicoptère s'était maintenu en vol stationnaire au niveau de la baie vitrée du bureau et qu'avec un super lance-flammes, on avait brûlé ce malheureux, directement à travers la vitre... Pour ce que j'en sais, un tel lance-flammes n'existe pas... ».


Telle est l’histoire de Ronald Banknote. Bien sûr, homme moderne, cette histoire tu t’en fous. Tu la trouves peut-être ridicule, tu me crois un peu fou. Tu ne penses qu’à t’enrichir, à avoir la plus grosse voiture ou le costume le mieux coupé, à être vu dans les soirées mondaines, au bras des femmes les plus élégantes. Mais si tu prenais la peine de regarder les choses avec les yeux de ton enfance, en t’affranchissant de tes préjugés d’adulte ; si un jour tu te retrouvais égaré dans une forêt profonde, alors peut-être que toi aussi tu les verrais, les Elfes et les Lutins, les Fées et les Dragons. Moi en tout cas je les vois, et ils m’aident à supporter la vie près de toi. Et n’oublie pas, homme de peu de foi, que, quelque part, un Dragon veille sur toi...


Ecrit un soir de fièvre où médicaments et alcool n'avaient pas fait bon ménage, en avril 1997.

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2 mars 2007 5 02 /03 /mars /2007 14:43
Par Hong Kong Fou-Fou  
                      
Si, comme moi, vous êtes sensible à la beauté d'un arbre, voici une courte nouvelle écrite un soir de spleen qui ne devrait pas vous laisser indifférent... Un modeste hommage également à ces chefs-d'oeuvre du cinéma de science-fiction que sont "Soleil Vert", "La Planète des Singes", "Rollerball" ou encore "Le Survivant", des films sur un futur proche plutôt angoissant...

Fin du troisième millénaire. La Terre n'est plus qu'une grosse tumeur. Ses cellules cancéreuses, ce sont les hommes. Du moins, certaines catégories d'hommes, mais qui sont malheureusement celles qui dirigent, qui imposent leur volonté à la masse servile. Entrepreneurs véreux et avides, hommes d'affaires arrivistes, politiciens corrompus et fourbes, scientifiques irresponsables ou militaires belliqueux, tous ont contribué à transformer la planète en l'immense décharge qu'elle est aujourd'hui. Celle qui, dans des textes datant du précédent millénaire retrouvés intacts, était dénommée la « planète bleue » ne mérite plus aujourd’hui que le surnom de « planète sombre ».

Les rayons du Soleil n'arrivent plus que difficilement à franchir l'épais linceul généré par la pollution. La végétation a complètement disparu, ainsi que la quasi totalité des espèces animales. Les seuls animaux encore en vie sont clonés à partir d'un modèle créé artificiellement et optimisé pour la fonction spécifique qui leur est destinée. Pour ne citer qu'un exemple, les poules ont une cadence de ponte de deux œufs par heure ; les poussins naissent sans plumes, ce qui représente un gain de temps évident pour la ménagère. De toutes façons, leurs plumes ne leur serviraient plus, puisqu'ils ne connaîtront jamais le froid durant leur brève existence. Ils vivent en milieu cloisonné dans des couveuses sophistiquées, subissant une croissance accélérée leur permettant d'atteindre leur taille adulte en quelques heures à peine. Les lacs ne sont plus que des nappes de substances toxiques. L'air est vicié ; des nuages de particules en suspension recouvrent tout, s’immisçant dans le moindre interstice, provoquant de mortelles maladies pulmonaires.

La population mondiale s'élève à quinze milliards d'individus. Quinze milliards de personnes qui s'arrachent les dernières ressources d'une planète exsangue. La distinction entre deux êtres humains ne se fait plus selon leur nationalité, leur couleur de peau, leurs croyances religieuses ou leurs idées politiques mais simplement par le fait qu'ils appartiennent à la classe des riches ou à celle des pauvres. La fracture sociale s'est en effet aggravée de façon dramatique. D'un côté une minorité de riches possède tout, de l'autre une majorité de pauvres s’entre-tue pour rien. Les drogues sont omniprésentes. Les riches trompent leur ennui grâce au Revax, une drogue high-tech synthétisée dans les meilleurs laboratoires pharmaceutiques, les pauvres oublient leur désespoir sous l'emprise du Forgeton, une drogue de piètre qualité mais bon marché, aux effets secondaires effrayants. Riche ou pauvre, tout le monde s'entasse dans des agglomérations aux allures de fourmilières, la campagne étant devenue totalement inhabitable, à part pour les quelques tribus de mutants qui y trouvent refuge, fuyant les persécutions de leurs contemporains réputés normaux. Les usines de traitement de l'air tournent nuit et jour, diffusant autour des cités l'oxygène nécessaire à la vie.

Dans ce monde de cauchemar, de nouvelles professions ont vu le jour. Ainsi, les Cloneurs offrent à leurs fortunés clients la possibilité de choisir l’aspect physique ou les capacités intellectuelles de leurs futurs enfants. Selon que telle ou telle personnalité du sport, du show-business ou de la science est sous les feux de l’actualité, on voit fleurir sur les bancs des écoles des dizaines de bambins qui, quelques années plus tard, ressembleront trait pour trait au modèle choisi par leurs parents. Les célébrités qui le souhaitent peuvent vendre, de leur vivant ou après leur mort, leur patrimoine génétique à l’association « Nouvelle Elite ». Les gênes sont injectés dès les premiers jours de développement de l’embryon. La méthode n’est cependant pas infaillible et les incidents sont nombreux. Les cas les plus graves répertoriés sont celui du clone du Prix Nobel de Physique Fred Freedman, abattu par le surveillant de son lycée alors qu’il tentait d’égorger une camarade de classe avec ses ongles et celui du clone du mannequin Olga Petunia, qui, à l’âge de treize ans, s’était mise à vieillir prématurément et à vitesse accélérée. A quatorze ans, elle en paraissait soixante. La vraie Olga, âgée de vingt-cinq ans, s’était suicidée en réalisant ce qu’allait devenir sa plastique parfaite.

On trouve aussi des Chasseurs d'Arbres. Il ne reste plus sur l'ensemble du globe que quelques centaines d'arbres. On ne sait plus trop comment, après qu’un milliardaire exubérant en ait lancé la mode, ces arbres sont devenus des articles très prisés de la population riche. Il est devenu du meilleur goût d'avoir un authentique arbre au milieu de son salon. La possession d'un arbre est ainsi devenue symbole de réussite sociale, au même titre qu'une grosse voiture ou une résidence secondaire l’était à la fin du vingtième siècle. Les gens aisés ont commencé par envoyer certains de leurs employés à la recherche d'arbres. Nombre d’entre eux se sont ainsi enfoncés dans les contrées désolées s’étendant autour des villes. La plupart ont succombé à des dangers auxquels ils n’étaient pas préparés. Petit à petit, une caste de professionnels de la recherche d’arbres s’est développée. Chaque ville a ainsi vu s’ouvrir des échoppes où des hommes aux visages durs et aux méthodes brutales offrent leurs services à la jet-set urbaine. La prestation des Chasseurs d’Arbres ne se résume pas à la recherche et à la livraison de l’arbre, mais comprend aussi le processus de pétrification. En effet, la possession d’un arbre vivant représente un insoluble casse-tête : il est impossible de trouver la quantité de terre fertile nécessaire à la croissance d’un arbre ; l’eau n’existe plus dans les villes, remplacée par un liquide incolore et sans goût, le « lymphex ». Lorsqu’ils dénichent un arbre, les Chasseurs enfouissent entre ses racines une ampoule de plastok qui se dissout dans le sol, libérant un produit chimique qui vient se mélanger à la sève, transformant l’organisme végétal en une sorte d’épouvantail pétrifié. L’ensemble du processus ne prend que quelques heures.

Lärss Ztonaclos est un Chasseur d’Arbres. Ancien technicien dans une usine de recyclage de déchets à haute teneur radioactive, il a laissé tomber ce job deux ans auparavant. Le travail était dangereux, nombre de ses collègues avaient contracté des maladies étranges et étaient morts dans d’atroces souffrances. Ce qui exaspérait le plus Lärss, c’était l’hypocrisie de la direction de l’usine, qui niait toute implication dans ces maladies et étouffait rapidement chaque affaire. Lärss, marié et père de trois enfants en bas âge, avait du mal à joindre les deux bouts. Il était prêt à risquer sa vie pour sa famille, mais pas pour un salaire de misère. C’est pourquoi il a décidé de tout laisser tomber et de tenter sa chance en tant que Chasseur d’Arbres. Son épouse a bien tenté de l’en dissuader, les dangers étant là aussi bien réels, mais Lärss s’est entêté. Il n’a jamais vu d’arbre de sa vie, mais il conserve précieusement dans sa chambre un vieux magazine jauni, datant de plus de deux cents ans, qui présente des photos de certaines essences d’arbres. Souvent, avant de s’endormir, il feuillette les pages froissées et cornées. Dans son sommeil, il rêve à ces arbres qui ne sont pour lui que des mythes d’un passé oublié.

A vrai dire, jusqu’à présent, Lärss Ztonaclos ne s’est pas avéré être un Chasseur très efficace. Il n’a même jamais trouvé un seul arbre, pas même un vieux tronc fossilisé. Il parvient quand même à gagner chichement sa vie, la règle voulant que les commanditaires versent une indemnité au retour de chaque expédition, quel qu’en soit le résultat. Bien sûr, cette somme est une centaine de fois plus faible que celle reçue en cas de succès. Lärss écume donc inlassablement les terres dévastées, balayées par les vents toxiques, au volant de son vieux chenillard équipé d’une pelle excavatrice. Un scaphandre Filtrax rafistolé, à l’étanchéité douteuse, lui permet d’arpenter même les zones les plus polluées. Jusqu’ici, il a eu de la chance et n’a jamais vraiment fait de mauvaises rencontres. Un couple de mutants, une fois, a bien tenté d’améliorer son ordinaire en l’ajoutant à son menu mais quelques cartouches de shotgun tirées en l’air l’avaient fait fuir sans trop de difficultés. Parmi les risques de ce type d’escapade loin des villes, l’un des moindres n’est pas celui que représentent les autres Chasseurs, la concurrence étant féroce au sein de la profession. Pour les Chasseurs, la lame d’un poignard est une cause de mortalité plus fréquente que la griffe d’un mutant. Lärss est devenu expert dans l’art des négociations délicates.

Mais son manque de réussite a rapidement fait le tour du cercle très fermé de la profession. Des concurrents bien intentionnés lui ont collé une étiquette de porte-poisse. Les clients se sont adressés à d’autres chasseurs. Aujourd’hui, l’holophone ne sonne plus. La vie de famille de Lärss a fini par en souffrir. Les réveils brutaux en pleine nuit, la main anxieuse qui cherche dans le lit la présence rassurante du mari, la boîte en métal rouillée où le ménage range ses économies, et qui est maintenant toujours vide, tout cela a eu raison de la patience de son épouse. Elle l’a quitté quelques semaines auparavant, pour s’installer avec ses enfants chez un ancien collègue d’usine de Lärss. En y réfléchissant bien, il arrive à la comprendre, peut-être même à lui pardonner. Lärss est donc seul maintenant. Pour tromper son chagrin, pour donner un but à son existence, il multiplie les expéditions, ne rentrant chez lui que pour de brèves périodes de repos. Quel que soit son état de fatigue, il ne s’endort jamais avant d’avoir admiré quelques illustrations du magazine qu’il cache sous son lit, qui représente pour lui la plus grande des richesses.

Aujourd’hui, Lärss est heureux. A quelques mètres devant lui se dresse un magnifique arbre au feuillage vert sombre. C’est un pin, il l’a reconnu immédiatement. Pour le trouver, il a fallu escalader les flancs d’une colline de gravats grisâtres. La pente devenant trop abrupte, le chenillard a dû être abandonné et la dernière partie du trajet s’est faite à pieds, les chevilles se tordant à chaque enjambée dans la rocaille.

Lärss avance lentement vers l’arbre. Son souffle est haletant, mais c’est l’émotion qui en est la cause, pas la fatigue de l’escalade. Ses doigts effleurent l’écorce. Des larmes perlent au coin de ses yeux. Il entoure maintenant le tronc de ses bras. Il a l’impression de sentir la sève s’écouler. Il pleure maintenant à chaudes larmes, les branches oscillent au rythme de ses sanglots. Les larmes glissent sur ses joues, creusant des sillons clairs dans la crasse accumulée durant ces longues journées d’effort.

Pendant quelques minutes, Lärss étreint fébrilement ce tronc qui pour lui représente la victoire de la vie sur le monde sombre qui l’entoure, la persistance de la nature sue l’inconscience des hommes. Puis il s’allonge sous l’arbre, la nuque s’appuyant sur une racine. Les yeux fermés, il imagine l’arbre au-dessus de lui. Des oiseaux piaillent et se chamaillent dans la frondaison. Autour de l’arbre, de vertes prairies s’étendent à perte de vue. Lärss peut voir les papillons aux couleurs vives qui volettent au-dessus de fleurs aux corolles offertes. L’harmonie du bleu du ciel est légèrement troublée par quelques nuages aux formes rondes et généreuses. Dans un soupir où se mêlent soulagement et résignation, Lärss saisit son shotgun dans son étui, engage avec un claquement sec une cartouche dans la chambre. Il appuie le canon sous son menton. Au-dessus de ses yeux, le feuillage du pin forme une couverture protectrice. Lärss adresse un large sourire à cet arbre pour lequel il a tant souffert.

La déflagration claque et déchire le silence.
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