Extraits du rapport de Prime Ozzzzzzzzzzztrr' Pffundtli'ii, dit Pop, rédacteur au Guide du Routard Intergalactique - surnommé le Vide du Routard par ses détracteurs-, à son patron. Les mots suivis d'une astérisque sont expliqués en fin de texte.
"Chef, vous m'avez demandé d'aller faire un tour sur la Terre, afin d'actualiser l'édition de notre guide consacré à cette planète. Je me suis acquitté de ma mission avec ferveur, vous connaissez l'affection que je porte aux Terriens, un peu comme un enfant avec son premier zlouk*. Ma dernière visite à cette planète remonte à un bon millième de pp'eye* et je dois dire que beaucoup de choses ne sont plus comme avant ! Je me demande avec le plus grand sérieux si la Terre mérite encore son titre de joyau de la Voie Lactée... J'ai peur que nos astrotouristes en reviennent désappointés...
J'ai été partout, hémisphère Nord, hémisphère Sud, j'ai arpenté les sept continents, j'ai escaladé les montagnes, j'ai plongé dans les fosses abyssales, j'ai été dans les villes, j'ai été dans les campagnes, j'ai tout lu, tout vu, tout entendu. Je ne vais pas me lancer dans une énumération exhaustive de tout ce qui a changé, vous le découvrirez lorsque je vous soumettrai la nouvelle version du guide. Je vais simplement vous donner quelques exemples et vous narrer quelques anecdotes pour que vous vous fassiez une idée.
Quiconque va sur la Terre se doit de passer par Paris. Faire l'impasse sur cette ville, ce serait un peu comme manger un gloumgloum* sans lécher le gloumzak* !!! J'y suis donc retourné. Je ne m'étendrai pas sur les difficultés que j'ai rencontrées pour trouver une place où garer mon astronef. Il y avait une circulation infernale, un peu comme aux abords d'un stade de hoolball* un jour de match entre l'Olympique de Mars et le Paris Saturnin... En plus, lors de ma visite, certains Parisiens se livraient à l'une de leurs activités favorites : la grève (elle consiste à défiler dans la rue avec des banderoles, en criant des slogans contenant des jeux de mots que même le pitoyable humoriste vénusien Labaff n'oserait pas faire). La fluidité du trafic ne s'en est pas trouvée améliorée... Après avoir plané un centième de millionnième de pp'eye* pour trouver un stationnement libre, j'ai fait comme tout le monde : j'ai abandonné ma soucoupe en troisième file, avec un mot "En panne" sur le pare-astéroïde. A peine arrivé en bas de l'échelle de sortie, j'ai posé le pied sur une crotte de chien (un chien, c'est comme un zlouk*, mais avec une capacité de défécation décuplée), souillant irrémédiablement mes mocassins gravitationnels Goud'Shhi. (...) Alors que je déambulais dans les rues, un jeune bipède en survêtement blanc (un survêtement, patron, c'est une tenue sans forme que les Terriens enfilent le week-end pour aller affronter leurs congénères dans les grande-surfaces) m'a abordé avec une certaine agressivité. Il portait tout un tas de pendentifs et autres colifichets brillants autour du cou, ainsi que des bagouzes énormes aux doigts, la vie de ma mère j'en avais jamais vues des ça-com, j'les kiffais chanmé (oups, pardon chef, vous connaissez mes facultés d'adaptation, voilà que je m'exprime comme lui). En tout cas, j'ai bien fait de ne pas m'encombrer de verroterie et bijoux de pacotille comme lors de ma première expédition, apparemment ils ont tout ce qu'il faut. Bref, j'ai eu un mal fou à lui expliquer que ce qu'il prenait pour une casquette Louivuiton (???) n'était que ma membrane frontale vascularisée et qu'il m'était impossible de la lui céder sans subir d'atroces souffrances. Devant son manque d'ouverture d'esprit, j'ai dû faire usage de mon phaseur à concussion latérale inversée. Il n'est resté de lui que sa propre casquette, que je me suis permis de vous ramener en guise de souvenir. Si vous me passez l'expression, chef, j'l'ai niqué grave, c'bouffon ! (...)
A mon dernier voyage, j'avais été impressionné par les talents culinaires des cuisiniers parisiens. A la simple pensée du fondant tournedos rossini accompagné d'un délicieux Saint Emilion que j'avais dégusté dans un restaurant de Montmartre, mes pédoncules se sont remplis de stomaks* bien dégoulinants. Las ! Finies les agapes et les libations de qualité ! Désormais, le citadin préfère manger "sur le pouce" (que je vous rassure, chef, n'y voyez rien de graveleux : chez l'Homme, le pouce est situé à un emplacement beaucoup moins indécent que chez nous. Sinon, haha, il lui faudrait une sacrée souplesse !...). Il s'entasse dans des fast-foods (pseudo-restaurants d'origine américaine, où l'on sert une cuisine cancérigène accompagnée de figurines en plastique de héros de dessins animés. Je pense sincèrement que même un Wookie* ne voudrait pas y déjeuner !!!). J'ai goûté l'un de leurs burgers, ce qui m'a permis d'étrenner mon analyseur moléculaire. Le verdict est implacable : dans mon burger se trouvaient 27% de sciure de bois, un morceau d'ongle, 18% de pâte à papier, une pincée de sel, 12% de boeuf mort trois mois plus tôt et 3% de colorants et agents de goût interdits chez nous depuis des lustres (le total ne fait pas 100%, me direz-vous, mon cher patron pointilleux et attentif. Tout simplement parce que j'ai préféré éteindre l'appareil avant la fin de l'analyse, les capteurs manifestant des signes de surchauffe). Quant à la boisson, ils ont abandonné le vin pour se gaver de Coca-Cola (hmm, il faudra vérifier avant publication, je crois que la marque est déposée même au-delà de la septième ceinture d'Albaramann). Cette boisson gazeuse a des propriétés incroyables : j'en ai laissé tomber une goutte sur ma combinaison anti-radiations ionisantes H-22, ce qui a fait un joli trou bien net.
(...)
Dernière chose pour aujourd'hui, patron. Vous savez que nous sommes une race mélomane. Nous n'avons pas 37 trompes auditives réparties sur tout le corps pour rien (au fait, tant que j'y pense, au niveau frais de mission, tout est OK, à part sur un point : il faudrait revoir à la hausse les dépenses en coton-tiges...). Quand je suis venu la dernière fois, en... attendez que je calcule... 1967 pour les Terriens, j'avais assisté à l'Olympia à un concert incroyable d'un Noir hallucinant (Un Noir, c'est un humain qui n'est pas vraiment humain aux dires de certains humains). Il s'appelait James Brown, et son concert, ça mitraillait sec, ça éclaboussait sévère. Le parrain de la soul, l'inventeur du funk. Un déhanché que même un Filofil* lui envierait ! D'ailleurs, chef, j'avais pu filmer ça à l'époque, j'avais réussi à cacher ma caméra dans ma poche abdominale, le service d'ordre n'y avait vu que du bleu. Je vous ai mis un extrait en fin de rapport.
Quelle n'a pas été ma déception lorsque j'ai découvert ce que les Terriens écoutaient aujourd'hui ! Finie la musique avec une âme, elle a été remplacée par de la musique électronique. Oui, oui, vous avez bien lu ! Un peu comme si on demandait à nos robots-ménagers Soub'RAITE-4 de pousser la chansonnette. Le pire, c'est un courant musical tout nouveau baptisé tecktonik. Une musique répétitive et assomante, sur laquelle de jeunes Terriens s'agitent de façon désordonnée et aléatoire, comme s'ils avaient gobé un sachet de piment du Kros*. Un truc qu'ils affectionnent aussi, ce sont les compilations. Je vous en ai ramenées quelques-unes, pour que vous vous fassiez une idée : la "Compil Super Tuning Vol. 7", la "Kompil Tekno Trans 12", le "Best Of Ibiza Power", etc... Les Terriens qui écoutent ces disques choisissent en général de le faire à bord de drôles de navettes violette ou jaune pétard, fenêtre ouverte, volume poussé à fond. J'ai cru y reconnaître une sorte de parade nuptiale visant à attirer des Terriennes souvent très fardées appartenant à la tribu des Sandy. Si j'avais le temps, je vous parlerais plus en détails de ces navettes. Et vas-y que ça brille, et vas-y qu'il y a de la moumoute sur le volant, et vas-y que ça pétarade. Mais niveau accélération, on dirait un vieux croiseur de classe A partant pour la casse...
Bon allez patron, je vous laisse, il faut que je m'attelle à la suite de mon rapport !"
A suivre...
*Filofil : espèce extraterrestre invertébrée, croisement entre un Barbapapa et un bol de tapioca.
*gloumgloum : intraduisible.
*gloumzat : intraduisible, mais vachement bon !!!
*hoolball : sport piqué aux Terriens lors d'un précédent voyage. Onze supporters de chaque équipe, assis en short sur des gradins vides, regardent deux fois dix mille joueurs habillés en Stone Island s'injurier et s'étriper sur le terrain.
*Kros : région de la quatrième lune d'Ixxmonia, dont les habitants se sont décarcassés pendant longtemps pour arriver à produire des épices de qualité.
*pp'eye : unité de temps, qui vaut environ 40000 années terrestres. D'où l'expression : "ça fait une pp'eye !".
*stomaks : sucs digestifs qui s'écoulent dans les membres inférieurs de certaines espèces extraterrestres, en cas de grosse fringale. D'où l'expression "avoir les stomaks dans les talons", eh oui, c'est encore un militaire qui gagne une tringle à rideau !
*Wookie : si, si, c'est bien ça : les mêmes que Chewbacca ! Apparemment, Georges Lucas a beaucoup voyagé.
*zlouk : petit quadrupède de compagnie, têtu, vorace, qui adore se frotter la radicelle à tout se qui se présente.