Par Hong Kong Fou-Fou
Depuis une dizaine de jours, comme le savent tous ceux d'entre vous qui ne sont pas retenus captifs par des intégristes islamistes au fin fond du Sahara, c'est la Coupe du Monde. Fury Magazine ne pouvait pas passer à côté de cet événement planétaire. Nous avons donc dépêché notre Pierre Ménès à nous, en la personne de l'élève Moinet, pour couvrir la compétition. Nous vous livrons son journal, dans lequel il nous fait partager ses réflexions, analyses et anecdotes. Ses peines, aussi, parce que le Brésil, c'est très loin de ses copains Wally et Oddjob.
"Mardi 17 juin
Cher patron,
Je suis en vue des côtes du Brésil. Comme les billets d'avion étaient trop chers et que vous m'avez fait voyager dans un cargo malais livrant des pièces détachées de moissonneuses-batteuses de Vladivostok à Rio de Janeiro, j'ai pratiquement loupé la première semaine de compétition. La traversée s'est bien passée, à part les trois premiers jours où je suis resté à agoniser, penché au bastingage. Il y a eu aussi l'épisode de la caisse mal arrimée qui m'est tombée dessus mais vous connaissez mon optimisme, ce n'est pas un pied cassé qui va me gâcher mon Mondial. L'équipage est très sympa. Je leur reproche juste de m'avoir l'autre soir tatoué une ancre de marine sur le front, mais ce n'était pas par méchanceté, simplement la manifestation de l'humour potache de gaillards burinés qui s'ennuient à bord.
En tout cas, je ne suis pas resté inactif pendant les douze jours de mer, j'ai bien préparé ma compétition : quand le capitaine (pas celui d'une équipe de foot, hein, celui du bateau) ne me demandait pas de briquer le pont, je potassais la composition des équipes à l'aide de l'album Panini "Fifa 14" que vous avez eu la gentillesse de m'offrir. Bon, vous auriez pu m'acheter un peu plus de paquets de vignettes, il me manque la plupart des joueurs. J'ai quelques doubles aussi, mais faire des échanges en plein océan, ce n'est pas facile. Heureusement, j'ai l'équipe d'Espagne au complet, je suis sûr qu'ils vont aller loin dans la compétition. J'ai eu cinq fois Casillas, je vous en donnerai un au retour si vous voulez.
Je vous laisse, nous allons accoster et les copains ne veulent rien savoir : malgré mon pied, je dois les aider à décharger la cargaison.
A bientôt,
Votre dévoué Moinet"
"Jeudi 19 juin
Cher patron,
Tout va bien. Je vous reproche juste de ne pas m'avoir, toujours par souci d'économie, payé une accréditation "Presse". Vous disiez que dans la confusion j'arriverais à rentrer partout. Eh bien les policiers locaux ne rigolent pas avec ça, je me suis fait copieusement matraquer à l'entrée de la Maracana, et comme avec mon pied cassé, je ne pouvais pas courir, ils en ont bien profité, les vaches. Du coup, j'ai loupé Chili-Espagne. En parlant de chili, la bouffe est hyper épicée ici, vous ne sauriez pas comment on appelle le générique de l'Imodium en portugais ? Sinon, j'ai jeté toutes les vignettes de Casillas.
Tant que j'y suis dans les doléances, me faire loger dans une favela, c'est sympa, ça fait couleur locale, mais c'est quand même loin, ça monte tout le temps et avec mon pied, ce n'est pas le pied justement. Et c'est pénible d'être réveillé à 4h du matin par des rafales d'armes automatiques.
Le côté positif, c'est que je suis au contact du peuple. Mais il est un peu remuant, le peuple. Deux gamins de dix-onze ans m'ont braqué avec un flingue gros comme une bombarde Renaissance. J'ai dû leur céder le bel appareil-photo que vous m'aviez offert (grâce à l'argent économisé sur le billet d'avion et la chambre d'hôtel. Si j'avais su...) Du coup, pour illustrer mon article, il a fallu que j'achète des photos prises par des confrères.
Votre dévoué Moinet"
"Dimanche 22 juin
Cher patron,
Tout va mal.
D'abord, je n'ai toujours pas vu un seul match de foot. J'ai passé mon vendredi à l'hôpital. Admis en urgence, complètement déshydraté. La veille, j'avais été dans une pharmacie. Contrairement à ce que prétendait un journaliste russe ivre mort, Hourracaca ne désigne pas l'équivalent de l'Imodium, ça serait plutôt le contraire. Je me suis vidé plus vite qu'une tribune après une défaite. Samedi matin en sortant de l'hosto, j'ai croisé une bande de supporters argentins. Je pense qu'ils ont dû être abusés par la qualité de mon anglais car ils m'ont pris pour un sujet de sa grâcieuse Majesté. Comble de confusion, avec mon ancre de marine tatouée sur le front, ils ont cru que j'appartenais à la Royal Navy et ont entrepris de donner une suite à la guerre des Malouines. Je me laissais poliment rouer de coups quand quelques joyeux lurons du Batalhão de Operações Policiais Especiais (le BOPE pour les intimes, dont j'estime maintenant mériter de faire partie) ont débarqué. Et vas-y que je t'embarque tout le monde. Je vous écris donc depuis une cellule nauséabonde, je suis les matches sur la radio des gardiens mais comme mon portugais est moins fluent que mon anglais, je suis un peu largué. Heureusement, un des gardiens, un grand Noir du nom d'Eusébio (oui, comme le footballeur, c'est un signe, non ?) m'a pris en affection. Il me dit toujours que c'est dommage qu'un joli garçon comme moi croupisse dans un endroit aussi sale que cette geôle. C'est grâce à lui que vous recevez ce message. Le dernier avant mon retour.
Parce que vraisemblablement, la Coupe du Monde 2014, je vais la finir au ballon.
Votre dévoué Moinet."
Un brave confrère puerto-ricain m'a vendu 100 dollars ce cliché de l'équipe du Cameroun à l'entraînement. J'espère, patron, que vous ne retirerez pas cette somme sur mon salaire. L'arrière-plan est intéressant : comme tout le monde le redoutait, le Brésil n'était pas prêt. A la télévision on a l'impression que les stades sont terminés mais c'est juste un décor en papier crépon, il n'en est rien.
Réception au Club des Losers (bizarrement le seul endroit où le nom de "Fury Magazine" m'a ouvert des portes). Le capitaine de l'équipe d'Angleterre félicite celui de l'équipe du Portugal pour sa défaite face à l'Allemagne, mais ne peut s'empêcher de fanfaronner en disant que lui est déjà sûr d'être éliminé.
Contrairement à ce que l'on peut croire, il ne fait pas si chaud que ça au Brésil. Quelques Cariocas à casquette.
Un brave policier interpelle à lui seul et verbalise une bande de hooligans anglais. Bon, j'ai quelques doutes sur celle-là mais le type qui m'a vendu la photo m'a affirmé avoir assisté à la scène.
Sitôt libérés, les mêmes hooligans agressent verbalement deux transsexuels brésiliens.
Le joueur allemand Hochstetter reconnaît dans le public sa cousine Gretel, qu'il n'avait vue que sur des photos, une branche de la famille ayant quitté l'Allemagne pour le Brésil suite à une "mutation professionnelle" du grand-père en 1945. Un moment d'émotion incroyable, Munich en son genre, comme seule une compétition comme la Coupe du Monde peut offrir.
Comme nous le savons tous, les pauvres, ça se plaint tout le temps, et les journalistes, ça exagère tout le temps. Certes, quelques familles ont été expatriées. Mais c'était pour être mieux relogées dans de luxueux immeubles avec héliport privé. Il ne leur reste maintenant plus qu'à travailler 10000 ans pour se payer un hélicoptère.
En 2010 en Afrique du Sud, Patrice Evra entretenait la flamme de la révolte en jouant à ses copains de l'équipe de France des chansons de Léo Ferré ou de Joan Baez. Cette fois, tout va beaucoup mieux, l'ambiance n'est plus à la lutte sociale, il les distrait en reprenant pour eux les grands succès de Booba (pas le petit ourson, non, le gros con).
Preuve que pour les Bleus, tout a radicalement changé : on n'appréhende plus les trajets en bus. Ici, l'équipe au grand complet part chez le coiffeur se faire faire des coupes ridicules.
Vexé par le scandale du Canal+ Football Club qui s'était moqué l'an passé de sa tenue vestimentaire, Mathieu Valbuena est maintenant beaucoup plus attentif à son apparence.
De nombreux entraîneurs exigent de leurs joueurs de s'abstenir d'avoir des rapports sexuels pendant la durée de la compétition. Du coup, certains envoient la balle sur la transversale.
Gérard Hernandez, en vrai rebelle, défie la loi. Attends qu'il rencontre le BOPE, tiens, il fera moins le malin.